Le retour du boulghour
Ou la graine de l'espoir
Comme on ne peut pas parler de sujets sérieux tous les jours (paraît que c'est mauvais pour les rides), je m'en vais vous narrer un épisode de ma jeunesse.
Les années 80 pour moi, ça a été la mode, les films pour ados*, la musique, la musique et encore la musique (les garçons, la clope et le vin ne sont arrivés que dans les années 90).
Pour ma mère, ces années ont été des années de recherches alimentaires et d'introspection diététique. Encrée dans son temps, à l'écoute des bruits du monde, elle nous en a fait passer dans les assiettes : des vertes et des pas mûres, des sans sel, des sans colorants, des sans saveurs, ni odeurs.
Des traditionnels régimes "fromage blanc" et "ananas" qui connurent leurs heures de gloire à la toute fin des années 70 et dirent "au revoir", comme VGE en son temps, nous sommes passés, sous l'ère mitterandienne, aux régimes théorisés par les penseurs de l'alimentation.
Maman les utilisait au gré de l'actualité :
- Plan de rigueur économique oblige, c'était Atkins qui supprimait les glucides,
- le communisme s'effondrait, c'était Montignac qui dissociait,
- Le Front National totalisait 10 % des voix aux européennes et c'était Mayo qui préconisait les oeufs à volonté (mais sans mayo, hein, c'est mieux...),
- C'était l'apogée des Fast-Food et c'était Dukan qui proposait un retour aux aliments fondateurs de l’espèce humaine, ceux des premiers hommes, avec une liste de 100 aliments dont 72 protéines et 28 légumes (Ce même Dukan qui dit aujourd'hui :"Vous cherchez à maigrir et vous avez une voiture. Lavez-la !"... oui, le même... le pragmatisme Sarkozien l'aura sans doute inspiré.),
- Milieu des années 80 : nous étions en plein dans les années fric. L'homme d'affaire sans scrupules qu'était Tapie se trémoussait en compagnie de Véronique et Davina et nous suivions, quant à nous, les sacro-saints préceptes de Weight watchers dont la méthode révolutionnaire consistait (et consistera toujours) à vous soutirer du pèze avant toute chose.
- A l'aube des années 90, notre société prit pleinement conscience de la mondialisation et Maman suivit le mouvement en pratiquant des régimes portant des noms d'île ou de ville : Okinawa, Crète, Hollywood, Miami,... jusqu'à ce que sa quête débouche, avec l'arrivée des verts, sur la macrobiotique. Exit la viande, le poisson et les produits laitiers ! Bonjour le Tofu, le riz complet, et les graines en tous genres, sensés résoudre les problèmes concrets de nos existences. L'air de rien, le boulghour faisait partie du Top five des aliments salvateurs (j'aurais pu vous en mettre en photo, mais j'ai préféré un visuel un peu plus racoleur. Qu'est-ce que j'y peux, moi, si ce film et le boulghour font partie de la même période de ma vie ?).
Ma mère était aware, on le savait. On se la sautait de temps en temps, mais qu'est-ce qu'on se marrait, testant ses essais, souvent ratés, de pot au feu, bouillabaisse et autres couscous végétariens !
Puis, ce fut les guerres en Yougoslavie, en Tchétchénie et dans le Golfe, le génocie au Rwanda,... On a tous perdu l'appétit et Maman ne reparla plus de régime. Quant à moi, je ne suis plus jamais entrée dans une cuisine avec la même insouciance.
Alors, tout à l'heure, quand j'ai vu Minos 1er mettre dans la poêle un steak de boulghour pané en guise de dîner improvisé, je n'ai pas pu m'empêcher de voir dans cet amas de céréales, peu ragoûtant, la promesse de jours meilleurs.
* Un de ces quatre, il faudrait vraiment que je vous parle de Breakfast Club, le meilleur film pour ados de tous les temps (avec peut-être la Folle journée de Ferris Bueller).
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